La participation citoyenne s'est dotée de plusieurs parures depuis quelques années. Face à la défiance exprimée ouvertement par les citoyens pour un appareil politique qui leur semble éloigné et déconnecté, la participation est proposée comme moyen pour retisser le lien élus-habitants. Elle est vue par d'autres comme un remède pour calmer les esprits : une convention citoyenne et des cahiers de doléances en réaction aux gilets jaunes. Sur un autre plan, dans monde où chacun cherche à avoir une place, à être reconnu, à donner son avis, elle permet à tout un chacun de s'exprimer sur son cadre de vie, sur les questions sociétales, sur sa vision pour demain (oui, nous sommes d'accord, pas toujours de manière constructive...). Puis, elle peut devenir porteuse d'espoir car, dans sa forme la plus aboutie, elle incarne le pouvoir d'agir, elle permet aux uns et aux autres de s'emparer de son destin pour le façonner collectivement et coopérativement.
Ces divers rôles prêtés à la participation citoyenne parlent de défis et d'attentes extrêmement exigeants... et la chute provoquée par la réalité peut être brutale tant les enjeux de part et d'autre sont forts. Prenons pour exemple la Convention citoyenne pour le climat : un processus très intéressant et franchement novateur en France, une vraie inclusivité des membres, un tiers-garant qui a pu jouer son rôle de garde-fou... Mais au final, des résultats très décevants : sur 149 propositions, seuls 15 ont été reprises telles quelles malgré la promesse du Président Macron : «Ce qui sortira de cette Convention, je m’y engage, sera soumis sans filtre soit au vote du Parlement, soit à référendum, soit à application réglementaire directe».
Le gouvernement sera-t-il pris au sérieux s'il propose une autre convention citoyenne ? Combien de fois entendons-nous dans nos métiers : "de toute façon, les élus ont déjà décidé ce qu'ils veulent, la participation ne sert à rien !" ?
C'est pour ces raisons que je vois la participation citoyenne comme une boite de Pandore. Il est tellement simple et tentant en début de mandat de promettre plus de participation, de lancer des commissions et conseils ouverts à différents publics, d'inviter à des réunions publiques sur l'environnement, le cadre de vie, la santé... et tout autre sujet touchant à la vie quotidienne. Mais en s'engouffrant sur cette voie sans prendre en compte ce que cela produira comme effets, il se peut que l'on ouvre une boite de Pandore, qu'on lâche des forces que l'on n'avait pas mesuré et qui nous dépassent !
Questions de posture et de processus de décision
Une réelle politique de participation implique de se poser la question des résultats attendus : en tant qu'élus, qu'allons-nous faire des contributions citoyennes ? Ou est-ce que nous plaçons le curseur de la place du citoyen dans le processus de prise de décision ? Les élus sont avant tout citoyens, comme ils aiment à nous le rappeler, mais comment réellement laisser sa casquette d'élu de côté pour travailler avec des habitants ? Au final, l'élu garde le pouvoir de décision, mais jusqu'où ? Comment l'habitant, la société civile, les acteurs locaux viennent-ils influencer cette décision : la nourrir, l'alimenter, voire la prendre ensemble ? La même chose s'applique aux habitants : comment travailler avec des élus alors qu'on sait qu'on n'aura pas forcément "le dernier mot" ? D'ailleurs, précisions ce qu'est ce dernier mot ! Comment créer une confiance, accepter que ce travail collaboratif peut ne porter ses fruits que dans le moyen-long terme ? Comment se départir de ses préoccupations individuelles pour réellement aller vers l'intérêt général ?
Faire de la participation citoyenne implique de se poser ces questions de posture puisqu'on est engagé à travailler ensemble. Finalement, en s'interrogeant sur sa posture et le curseur de la décision, les acteurs locaux ne sont-ils pas en train de redessiner un renouvellement de notre contrat social ? Un acte qui, assurément, ne se fait pas à la légère.
Questions de pouvoir d'agir dans les territoires
Les défis qui nous attendent sont d'une telle complexité qu'il n'est plus possible de fonctionner seuls ou en silo. Quel sens cela a-t-il aujourd'hui de penser aménagement et planification sans réinterroger, avec les personnes concernées et les professionnels, la mobilité, l'habitat, l'alimentation, la santé, l'éducation, sans parler des transitions ? Il n'est désormais plus possible de mener des projets structurants en pensant qu'il ne s'agit de l'affaire que des professionnels et que la participation ne représente qu'un bonus pour faire plaisir aux habitants. Non ! La participation c'est ouvrir nos territoires et imaginer l'avenir de nos futurs bourgs et villes à plusieurs : professionnels, société civile, habitants. C'est faire vivre les contraintes techniques/financières et les aspects humains côte à côte. C'est mettre sur le devant de la scène les grands enjeux sociaux et humains : comment imaginer nos villes pour rebâtir du lien et casser les clivages binaires qui peuvent y exister ? Entre jeunes et anciens, entre CSP+ et CSP-, entre nouveaux arrivants et anciens habitants, urbains et ruraux... et aujourd'hui entre pro- et anti-vaccins...? Comment imaginer nos lieux de vie pour que les habitants s'y sentent bien et pleinement acteurs à chaque moment de leur vie? N'est-ce d'ailleurs pas de cela qu'il s'agit lorsque nous parlons d'habiter ? Comment réduire le sentiment d'insécurité des femmes dans l'espace public, le sentiment d'isolement des personnes âgées, le sentiment de non prise en compte de certains jeunes...?
Une vraie politique de participation citoyenne prend en considération cette vision transversale et systémique, elle permet aux habitants et parties prenantes de pouvoir agir, de prendre soin - des uns et des autres et des territoires. Vue sous cet angle, il est impossible d'ignorer les implications de la participation et de son déploiement sur un territoire.
Ouvrir la boite de Pandore, c'est comprendre et assumer les conséquences de ses choix !
Bien souvent, lorsqu'une collectivité ou organisation fait appel à un prestataire pour mettre en place et accompagner la participation citoyenne, elle ne se rend pas toujours compte qu'elle s'apprête à ouvrir une boite de Pandore. L'accompagnement va créer de l'inconfort, provoquer des interrogations, susciter un remue-ménage profond.
A AJ Projets & Formation, j'aborde la participation comme un éco-système complexe où chacun doit trouver sa juste place, où l'ambition autour de la participation doit être creusée, comprise et partagée. Ce n'est qu'après que nous pourrons aborder les différents dispositifs et outils. Le choix d'encourager le pouvoir d'agir, de changer la nature du pouvoir de décision reste un véritable pas politique, courageux et (très) déstabilisant au départ. C'est ouvrir la boite de Pandore !
Mais osons ouvrir la boite pour aller vers plus de lien et d'ouverture, vers du faire-ensemble et de la coopération. Ouvrir la boite et accueillir les génies qui en sortent permet de convaincre de la véritable plus-value de la participation et de mobiliser de nouvelles forces vives. L'enjeu est de rester conscient de ce que cela produira comme conséquences et d'être prêt à agir en connaissance de cause.
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