Lorsque nous travaillons dans la concertation, il arrive fréquemment qu'on fasse appel à nous pour travailler avec les riverains sur des projets conflictuels dont ces derniers ne veulent pas. Notre rôle serait alors de "faire passer la pilule", autrement dit, de faire accepter ces projets. Nos détracteurs nous accusent alors de faire le jeu du commanditaire au détriment des habitants qui restent sans réel pouvoir. En réalité, est-ce si simple ?
En tant que femme de conviction qui tente d'exercer son métier avec intégrité, ce sont là des questions que je me pose souvent. En accompagnant la concertation autour de projets "indésirables", est-ce que je ne "trahis" pas les citoyens, moi qui mets un point d'honneur à prendre en compte et faire entendre le point de vue de "la base" ?
En y réfléchissant, ce qui me réconcilie avec ces interrogations sont les notions d'intérêt générale d'une part et la confiance dans la compétence technique d'autre part.
Chacune et chacun peut comprendre qu'un projet doit se faire par intérêt général, y compris les riverains. C'est le cas d'un projet que J'accompagne actuellement : la construction d'un bassin enterré de stockage des eaux pluviales. Ce bassin est un élément indispensable pour se prémunir contre le risque de pollution de l'Erdre. D'ailleurs, la collectivité est dans l'obligation règlementaire de construire cet équipement. Mais les parois du bassin sont à quelques mètres des habitations et les riverains ont peur des nuisances du chantier dans un premier temps et des risques pour la stabilité de leurs logements par la suite. Bien que ces derniers comprennent et acceptent l'intérêt général qui sous-tend le projet, il représente à leurs yeux une mise en danger de ce qu'ils ont de plus cher : leurs havres de paix, leurs foyers, leurs lieux de vie.
Le parti pris de notre équipe (j'interviens avec Bivouac et Ecologie urbaine et communication) depuis le lancement de la démarche de concertation a été d'accueillir et d'entendre les craintes et préoccupations des riverains et de travailler main dans la main avec les ingénieurs de la Direction de l'eau pour les rassurer et rendre le projet intelligible. Grâce aux ateliers de concertation et à des documents très pédagogiques (avec notre partenaire l'Atelier de l'Estuaire), on peut estimer que chaque riverain comprend l'intérêt du projet, comprend comment le bassin va se construire, comprend la nature des risques (très, très faibles) et la manière dont les spécialistes s'en prémunissent. A la sortie de cette démarche, les riverains semblent être rassurés sur les compétences techniques mises en œuvre dans le projet pour assurer la sécurité notamment.
Nous avons opté pour le jeu de la transparence et de l'information et nous en avons informé le commanditaire dès le départ. Il faut préciser que nous avons la chance de travailler avec des interlocuteurs qui sont tout à fait dans la même optique. Ainsi, les préconisations citoyennes sont prises en compte dans la rédaction des cahier des charges pour les entreprises de démolition et de construction : les horaires de chantier, les rotations des camions, le traitement de la poussière, la surveillance des vibrations... tout y passe ! Cela induit des conséquences non négligeables pour la Direction de l'eau notamment en termes de timing - le temps citoyen est beaucoup plus long que celui de la collectivité et des entreprises. En contrepartie, une relation de confiance entre les riverains et la collectivité semble s'être installée.
Dans tout ce processus, notre rôle à été d'aider à la mise en place et au maintien sur le long terme de cette relation de confiance et de la communication entre les parties prenantes. Nous avons été vigilantes sur la transparence et la transmission d'informations de part et d'autre, et ce dans un cadre global qui est celui de l'intérêt général.
Ce projet peut être considéré comme indésirable par les riverains, mais il doit se faire. Nous osons espérer que notre intervention permet qu'il se fasse en toute transparence, et que l'ensemble des parties prenantes disposent de toute l'information dont il a besoin en temps voulu. Elle contribue à un déroulement apaisé du chantier pour le moment (il reste quelques années de chantier devant nous).
Cet exemple me permet de suggérer que les professionnels de la concertation ont bel et bien un rôle à jouer sur ce type de chantier. Ce sont des chantiers qui se feront de toute manière : autant faciliter leur déroulement, porter à la connaissance des commanditaires les angoisses légitimes des riverains, être garants de leur prise en compte, transmettre aux riverains les contraintes incontournables des commanditaires... Regardons seulement les chantiers lourds où aucune concertation n'est déployée : il est rare de pouvoir dire que la relation riverain-commanditaire soit "apaisée" !
Enfin, c'est peut-être sur la notion d'intérêt général qu'un doute subsiste. Cela relève, à mon sens, de sa propre interprétation de l'intérêt général et du choix en conscience du professionnel de la concertation : est-ce qu'un jour j'accepterais de mener une concertation pour faire accepter l'enfouissement des déchets nucléaires, au nom de l'intérêt général ? Je peux vous affirmer que non, mais cela relève de mon choix et de mes opinions personnelles !
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