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La participation citoyenne, tant valorisée aujourd'hui, n'est pas sans risques


Au printemps 2019, je me suis rendue aux Rencontres Nationales de la Participation à Grenoble. Je n’étais pas seule ! Nous étions 700, élus, agents de collectivités, étudiants, chercheurs, associatifs, membres de conseils de développement, collègues indépendants...

Formatrice et consultante sur la concertation citoyenne et les territoires, cet événement de grande envergure représentait pour moi, et pour d’autres visiblement, une formidable opportunité pour s'imprégner des différents courants de pensée sur le sujet. Ces trois jours ont été mis à profit pour échanger sur nos pratiques entre pairs, développer et peaufiner nos réflexions, acquérir de nouveaux outils.

En ces temps agités, l'actualité s'est invitée dans les échanges. La nature changeante de la démocratie et de la décision, le rôle des citoyens dans cette démocratie, la participation et les oppositions, les mutations administratives territoriales, la place de l'institution sous toutes ses formes... ont été au cœur de débats passionnants.

Ce foisonnement d'idées permet de se pencher sur son cœur de métier, de se réinterroger sur la notion de la participation aujourd'hui et son évolution dans le temps, sur sa place en tant que praticien de la participation, sur le rôle de l'institution comme des publics dans cette démocratie de proximité.

Ces questionnements m'ont ramenée vers mes premiers pas professionnelles. Issue du monde du développement local, j'ai fait mes débuts il y a une vingtaine d'années aux côtés d'habitants sénégalais et guinéens. Ensemble, nous avons travaillé sur les ressources et potentialités du territoire vécu pour répondre à ses besoins et défis de façon transversale.

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Aujourd'hui nous utilisons le terme développement durable. Avec ses trois piliers : environnemental, économique, social – nous le mettons au service d'un développement harmonieux et respectueux des territoires. La participation prend alors sens par rapport aux populations et territoires qu'elle sert.

A travers ce prisme du développement local durable, nous pouvons percevoir la participation de plusieurs manières, chacune comprenant divers degrés d'implication citoyenne.

La participation : outil d'émancipation

En premier lieu, en accord avec les principes d'éducation populaire, la participation peut être considérée comme un outil au service de l'émancipation citoyenne. Réunir une diversité de personnes, apporter différentes informations, questionner ces informations ensemble... Cela favorise l'émergence de débats contradictoires et permet à chacun de se forger sa propre idée, fondée et argumentée, sur des sujets de société. Très libre dans son organisation, cette forme de participation citoyenne peut être encouragée par des animateurs et militants associatifs. Parfois, elle est spontanée, issue d'un mouvement collectif puissant qui relève souvent d'une lutte engagée (tels les Gilets jaunes ou les activistes d'Extinction Rebellion). Dans tous les cas, cette mobilisation induit une montée en compétences et une réflexion collective. Elle relève sans doute de ce que les anglo-saxons appellent le « community organisation ».

La participation : une mobilisation impulsée par des citoyens organisés

Deuxièmement, la participation citoyenne peut être au service d'une transformation sociale ou territoriale et contribuer à l'amélioration du cadre de vie dans l'intérêt général. Dans un processus de développement local durable elle est plutôt « bottom up » ou impulsée par les citoyens organisés : la société civile. Les aspirations des citoyens évoluent, les exigences s’affirment et se complexifient. En miroir d’une montée de l'individualisme et d’une fragilisation du lien social, émerge une recherche de valeurs de partage, de solidarité, de faire ensemble. La participation « bottom-up » peut représenter une porte d'entrée pour recréer du lien, proposer des projets communs, offrir un espace de co-construction et mener des actions ayant du sens. Les associations et les collectifs citoyens sont des acteurs souvent incontournables de cette approche qui part du principe que l'implication citoyenne permet d'être au plus proche des besoins réels et enjeux locaux. Elle contribue également à favoriser la pérennisation du projet puisqu'il est défini et porté par ceux et celles à qui il est destiné. Les personnes sont à la fois acteurs et bénéficiaires.

A titre d'exemple, j'ai accompagné des villageois sénégalais pour la mise en place et le suivi d'un fonds de développement local. A partir d'une identification partagée des enjeux et besoins locaux, nous avons réfléchi ensemble à des critères d'attribution de financements permettant la mise en œuvre de projets portés par des organisations locales impactant l'ensemble de la communauté.

La participation : une invitation de l'institution

Enfin, nous voyons qu'une troisième forme de participation semble se dessiner de plus en plus. Toujours au nom de l'intérêt général, l'impulsion vient cette fois de l'institution. La participation est alors « top-down ». Bien souvent il s'agit d'une consultation ou d'une concertation et plus rarement d'une véritable co-construction.

Dans un contexte de défiance générale envers toute forme d'autorité, qu'elle soit politique, médiatique ou scientifique, la collectivité perçoit la participation comme un moyen de recréer du lien entre citoyen et décideur. Si les besoins sont multiples, les ressources naturelles se raréfient et les ressources financières diminuent. La participation citoyenne constitue une véritable opportunité pour prioriser ensemble, pour aller vers plus d'efficience, pour sensibiliser aux questions d'arbitrage auxquelles est confrontée la collectivité. Dans ce contexte, les décideurs invitent les habitants et acteurs locaux à participer afin que leur expertise d'usage vienne éclairer la décision de l'élu.

Pour illustrer ce type de concertation, prenons l'exemple d'une construction d'un équipement urbain. AJ Projets & Formation intervient en pilotage d'une assistance à maîtrise d'ouvrage pour animer la concertation auprès des riverains. L'objectif est de recueillir leurs préconisations pour un chantier apaisé et leurs propositions pour l'aménagement final de la parcelle. Les arbitrages politiques tiendront compte des contributions collectives des riverains.

Les risques derrière cet engouement pour une implication citoyenne

Lorsque la participation est proposée par l'institution, mais cela peut également être le cas lorsqu'elle est impulsée par la société civile, elle tend souvent à s'enfermer dans des procédures. Elle se déroule dans un cadre parfois rigide, avec des étapes et des règles bien définis et peu souples. Sans doute est-ce pour contrer le risque de l'éclat, d'une prise de parole incontrôlée, d'une défiance publique.

Très professionnalisé, le débat participatif est mené par des facilitateurs, animateurs, designers puisant dans un stock de méthodes ludiques et impliquantes. Il existe alors un risque de standardisation du métier ou d'exclusion de ceux qui ne rentrent pas dans le cadre. Parfois même, les habitants deviennent des experts de la « machine participation » à force de s'impliquer et leur contribution correspond à ce que l'institution souhaite entendre.

Plus tard, l'habitant ne retrouve pas toujours sa contribution dans les décisions des élus et de ce fait ne perçoit pas l'utilité de sa production, provoquant un sentiment de frustration.

Réduite à ses outils ou ses procédures qui deviennent une fin en soi, la participation court un danger aujourd'hui de perdre de son sens. Ce constat amène plusieurs interrogations : Quelle place pour le débat émancipateur, pour la parole spontanée ? Comment mener ce cheminement d'une idée individuelle et subjective vers une construction collective et plus distanciée ? Quelle prise en compte des contributions citoyennes dans les décisions et quelle mise en œuvre d'actions concrètes ?

Ces interrogations me ramènent vers les Rencontres Nationales de la Participation et ma posture en tant que professionnelle. Parfois, j'ai eu l'impression que nous perdions de vue certains fondamentaux : Pourquoi la participation existe-elle ? Au service de quel idéal ? Pour répondre à quels enjeux et sur quels territoires ? Et nous, praticiens de la participation, quelle doit être notre posture ? Comment trouver ce juste équilibre entre la conscience professionnelle, les convictions personnelles, et la commande politique ?

Des pistes pour se rappeler le sens de la participation

Justement, remettons du politique, au sens premier du terme, au cœur de la participation ! La vraie question, et l'actualité vient étayer cela, se trouve dans comment chacun et chacune peut dépasser ses différences pour être partie prenante d'un développement durable de son territoire ? Comment chacun et chacune s'implique dans la co-construction d'une vision commune permettant d'être résilient face aux défis de demain ? Comment chacun et chacune, élu, agent, habitant, acteur local... trouve sa place dans le nouveau schéma démocratique en émergence ? Quels espaces de débat et de décision ouvrons-nous pour répondre à ces enjeux ?

Nous sommes là bien loin des questions de procédures et outils qui ne peuvent être qu'au service de ces objectifs autrement plus significatifs. La posture individuelle du professionnel de la participation prend toute son importance pour replacer ces objectifs au cœur d'une démarche de démocratie locale et participative.

Revenons à l'histoire de la participation citoyenne, forgée dans les combats associatifs et militants. Rappelons-nous les origines du développement local durable qui s'appuie sur les atouts d'un territoire et la dynamique des habitants pour amener une évolution équilibrée. La participation doit se situer dans l'accompagnement à l'émergence des potentialités et la co-construction avec l'ensemble des forces vives d'un territoire, plutôt que dans l'invitation à participer à un processus trop codifié et parfois déconnecté de la vraie vie !

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